Avec un printemps aussi pluvieux et venteux, réfugiez-vous à l’intérieur et entourez-vous de piles de bouquins, romans graphiques et autres BD ! Frédéric, Nikita et toute l’équipe de la Librairie Flagey sont de retour et vous présentent pour leur sélection de la saison : un livre jeunesse “psychologique”, un road-trip familia en BD, un classique du roman d’anticipation, une autofiction graphique, un roman noir “trashy”. Lisez pour vous évader…
- “Sauveur & Fils”, saison 1, Marie-Aude Murail, éd. L’école des Loisirs, coll. Médium+.
Enorme coup de cœur pour cette série drôle, intelligente et addictive à dévorer – Netflix n’a qu’à bien se tenir !
Sauveur (avec un nom pareil, ça ne s’invente pas !) est un psy au grand cœur. Les patients se bousculent à sa porte, autant d’enfants, d’ados et d’adultes en détresse qu’il fait de son mieux pour aider en donnant de son temps et de sa personne. Et son fils, c’est Lazare, 8 ans, pour lequel son père, les cordonniers sont souvent les plus mal chaussés, n’est pas toujours très disponible… Alors le garçon a pris la mauvaise habitude d’espionner ses consultations à travers la porte entrebâillée du cabinet.
En quelques chapitres à peine, le tableau est brossé. On a l’impression d’avoir toujours connu ces personnages et on se prend à souhaiter qu’ils existent en chair et en os. Et le rythme de la narration, calé sur celui des séances, a de quoi rendre très vite accro ! Pourtant ce sont des sujets graves voire parfois difficiles qu’on aborde au fil des pages. Mais ils sont traités avec assez de légèreté, de finesse et de justesse pour faire de ces romans un concentré pur d’humanité et une déclaration d’amour à la vie dans toute sa magnifique complexité .
Une lecture réjouissante et salvatrice, véritable baume au cœur à mettre entre les mains de tous les ados à partir de 12 ans – et je vous conseille vivement de leur piquer après (voire avant) : une parenthèse de bienveillance, ça ne peut faire de mal à personne !
- “Ne m’oublie pas”, Alix Garin, éd. Le Lombard.
Clémence est révoltée… révoltée par le sort réservé à sa grand-mère. Atteinte de la maladie d’Alzheimer, cette dernière a fugué une fois de trop pour la directrice de la maison de retraite et le verdict tombe, implacable, ce sera la camisole chimique. Définitive. Plus jamais sa grand-mère ne redeviendra sa Mamie. Alors, sur un coup de sang, Clémence l’enlève. Elles fuguent, mais ensemble. Un road-trip tragi-comique qui leur permettra à toutes les deux de se révéler : une dernière fois pour l’une, la première fois pour l’autre.
Une grande aventure humaine et salvatrice ! La plus belle histoire d’amour en 2021 est peut-être celle d’une petite-fille pour sa grand-mère.
- “L’oiseau moqueur”, Walter Tevis, éd. Gallmeister, coll. Totem Roman.
Certaines scènes de Fahrenheit 451 me hantent encore. Et pourtant, je crois que Walter Tevis (qui est aussi l’auteur du « Jeu de la Dame » récemment adapté sur Netflix) fait peut-être mouche de façon plus efficace encore. Sous sa plume, la possibilité que l’humanité ait perdu la capacité, et pire encore : le désir de lire (entre nombreuses autres choses et conséquences), est douloureusement crédible et fascinante. Il réussit à traiter l’intelligence artificielle et l’informatisation avec un mélange de poésie et de mélancolie dignes d’Hypérion, tout en mettant les dangers en exergue avec une acuité proprement glaçante. On pensera aussi à “Blade Runner”, “La servante écarlate”, “Des fleurs pour Algernon”, “1984” ou bien sûr “Le Meilleur des Mondes”…
Merci Gallmeister d’avoir réédité cette dystopie toujours d’actualité 40 ans après… Comme dans « Préférence Système », un robot peut nous en apprendre beaucoup sur notre propre humanité, ses mystères, nos éphémères mais précieuses vies… et un grand bouquin, beaucoup sur le pouvoir de la lecture (et avec elle l’imagination, la culture, l’esprit critique, …) !
- “Oleg”, Frederik Peeters, éd. Atrabile.
« On se débat, on se débat, et mine de rien on avance ». 20 ans après « Pilules Bleues », Frederik Peeters revient encore plus fort !
A travers « Oleg », ce double dessiné, ce personnage-miroir, il se livre sans faux-semblant sur sa vie d’artiste et les coulisses de son quotidien : son métier (l’inspiration capricieuse, les attentes du public, la pression des éditeurs…et celle qu’il se met lui-même), sa famille (sa fille désormais en pleine adolescence, sa femme qu’il aime depuis 20 ans victime d’un AVC), ses réflexions sur la vie, l’univers et tout le reste. Et il se dévoile avec une justesse absolument bluffante, avec pile ce qu’il faut de distance et d’autodérision pour ne pas tomber dans le nombrilisme, et assez de bravoure pour se montrer sous ses angles les plus vulnérables. Car en bon reflet de notre époque et de notre société, Oleg est un être de contradictions et de doutes. Et là où Frederik Peeters est un vrai grand Auteur, c’est qu’à travers son expérience intime, il parvient à atteindre l’essence de ce qui fait de nous, universellement, des êtres humains, et à toucher des cordes susceptibles de résonner en chacun d’entre nous.
Et là où il est encore plus fort, c’est qu’il allie cette maestria narrative à une maîtrise graphique époustouflante.
« Ca coule tout seul, c’est fluide, ça vibre », nous dit Oleg, et il n’a pas tort : quels traits sublimes de limpidité, quelles ambiances il crée en quelques cases, quelles atmosphères se dégagent de ses noirs profonds, ses creux loin d’être vides, ses textures, ses ombres et ses lumières… C’est aussi splendide que puissant de pureté tellement c’est beau et pourtant si simple ! Mention spéciale à ces passages hallucinés aux airs de réalisme magique.
Un bouquin dans lequel se plonger dans la solitude paisible du soir tombé pour une lecture pleine d’authenticité, d’amour, de complicité, de fragilité précieuse, de résistance tranquille, de calme avant la tempête d’idées, et de la nostalgie douce de ceux qui « traînassent dans la nuit ». Rien de moins qu’un petit chef d'œuvre qui m’aura laissée soufflée une fois refermé. Il risque d’être bien difficile pour les suivants cette année d’égaler ce 1er gros coup de foudre de 2021 !
A lire d’urgence ! Et encore plus si vous avez aimé : “Pilules Bleues” bien sûr, “Le combat ordinaire”, “L’obsolescence programmée de nos sentiments”, “Les couloirs aériens”, “Blankets”, “Paul à la maison”, “L’accident de chasse”…
- “Manger Bambi”, Caroline De Mulder, éd. Gallimard.
Lectrice, lecteur, approchez ! Venez voir ce dont accouche notre belle société ! Quant aux amateurs de littérature consolatoire, hé bien passez votre chemin ! Bambi n’est pas sortie de l’adolescence mais elle et ses potes s’y entendent pour faire cracher au bassinet les vieux qui paient pour user et jouir de la chair fraîche. Rien de plus simple : une connexion sur un site de rencontre et un peu d’argent. Pas de chance ! Le gibier est retors ! Les gamines ligotent, volent, violentent et torturent pas seulement pour voler mais aussi pour se venger de ce monde qui n’a pas prévu ne fût-ce qu’une petite place pour elles.
Alors ? Victimes ? Bourreaux ? Les deux ? Et ce n’est pas un paradoxe mais le constat que socialement, rien n’a vraiment changé depuis Zola : la loi du plus fort est encore plus incontournable au 21e siècle.
Écrivaine belge et bruxelloise, Caroline de Mulder habite le quartier de Flagey… Alors allez comprendre où elle a été chercher tout ça ?!? OVNI littéraire pétri de cette langue de la rue, de la jeunesse, de la pauvreté, des réseaux sociaux, ce roman noir est une immersion dans les bandes de filles délinquantes dont les codes pour être de « vraies meufs », c’est de se comporter comme des « mecs ».
Alors ? Bambi a-t-elle du cœur ? Et ses parents ? Son école ? Son monde ? Un roman pour commencer 2021 sans illusions avec le couteau entre les dents et la conscience en éveil.
N’hésitez pas à pousser les portes de la Librairie Flagey et de faire la connaissance de Frédéric, Nikita et de toute l’équipe ! Découvrez plus de coups de cœur et de chroniques littéraires sur leur site internet : www.librairiesflagey.com.